Quand le Scrabble est togolais

Article : Quand le Scrabble est togolais
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29 juillet 2016

Quand le Scrabble est togolais

Si les disciplines sportives au Togo souffrent d’hémiplégie, le scrabble lui est sûrement le bras droit victime. Il représente pourtant la pierre  utile à l’éducation des citoyens. Le constat est tout à fait saumâtre : être scrabbleur togolais, c’est être conscient que cette discipline participe à sa propre formation, c’est aussi s’y appliquer et n’attendre rien d’autre de personne.

Le scrabble a beau être une activité de réflexion, d’habileté et de décision, privilège des sagaces, échappant subtilement à ceux qui le sont moins, il n’esquive pas la règle générale qui régit les disciplines sportives au Togo : naître en agonie, grandir en agonie et peut-être y demeurer jusqu’à la mort. Cette agonie se caractérise par un manque manifeste et cruel de visibilité, à cause d’une insuffisance de financements, voire une inexistence. C’est surement rêver que d’estimer le scrabble sauf et indemne. Il est confiné aux derniers rangs. Sans mentir, les adeptes togolais du pessimisme l’annonce déjà mort. En réalité, si la fédération nationale du scrabble peut recenser en son sein tous les problèmes d’une petite discipline, il faut tout d’abord retenir que le scrabble togolais a sa propre légende. Cette légende date de 1994, avec la naissance  de la fédération, et elle est surtout marquée par la révérence de quelques scrabbleurs togolais, férus des lettres, avec les jetons dans le sang. C’était la période de scrabbles de rue, où le jeu se faisait dans les écoles, les universités et surtout à la cité de l’OTP. Dans cette première vie, la petite fédération togolaise était reconnue par la grande fédération internationale et participait, à la fin de chaque saison, à une compétition mondiale. Mais entre-temps, c’était la période sabbatique. C’est le 15 mars 2014, à l’issu d’un congrès électif, que la fédération met en place un bureau nationalement reconnu, avec à sa tête M. Aubin-Carlos EDORH. Le 23  mars 2016, à Lomé, le Togo organise et accueille le premier championnat d’Afrique de Scrabble. Il dure 4 jours et réunit une dizaine de pays africains francophones, chacun ayant une délégation d’au moins 10 joueurs. A Lomé, les événements se sont bien déroulés. Tout était sur de bons rails, en apparence bien-sûr.

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« Nous avons demandé qu’on nous conçoive un site web, il manque de l’argent pour finaliser »

La fatalité qui s’érige en loi sacro-sainte au sein du sport togolais, c’est le manque de financement. Cela prend parfois des allures inquiétantes, et affecte le fonctionnement de ce sport. « Nous avons demandé qu’on nous conçoive un site web, il manque de l’argent pour finaliser ». Les ambitions du (désormais) duo de membres du bureau sont salutaires : créer une plateforme sur laquelle diffuser les jeux en live et, en marge de cela, héberger des spots publicitaires. Si le chef d’œuvre de l’architecte new-yorkais Alfred Mosher Butts était de prime abord un jeu de famille, il a un tort : il est un jeu de concentration, qui ne se vit que dans un climat de calme, parfois flegmatique. Cela ennuie les supporters et écarte de facto les sponsors. Des sponsors, le scrabble togolais n’en a que quelques unités. Leur francophonie est évidemment justifiée.

« Dans quel bureau cotiser? « 

Embêtant et parfois rébarbatif, le manque de financement de la fédération a atteint, a priori, son paroxysme. Partant, le bureau exécutif a enregistré beaucoup de démissions. « S’il faut sortir aujourd’hui 5.000, demain 10.000 et après-demain 15.000, c’est juste fatiguant. Et ils disent à la fin de chaque réunion : dans quel bureau il faut cotiser ? » regrette le secrétaire général de cette fédération, M. Emmanuel Adjiwonou. Au sein du bureau exécutif, la témérité a deux noms : celui d’Aubin Carlos Edorh et d’Emmanuel Adjiwonou. La fédération et toutes les cotisations et dettes qu’elle traîne avec elle leur revient un peu comme de droit. On dirait que la nature les a pourvus d’un don pas des moindres : être en même temps au four et au moulin. C’est l’enfant que ce couple a vu naître, qu’il a conçu et qu’il est en quelque sorte obligé de protéger et de garantir la destinée et la prospérité. Ils sont tous deux téméraires. En même temps, la fédération n’a pas de siège. S’ils sont dans les tractations pour  en avoir, c’est en tout cas la maison du président qui fait office de siège. Fort heureusement, dans une moindre mesure,  le bureau ne compte plus que deux membres actifs.

« On a dû leur dire que les enveloppes font office de crédits qu’ils auront au championnat du monde »

Le scrabble est entre le marteau et l’enclume. L’année passée, le Togo a participé au championnat du monde en Belgique, avec un seul joueur et un arbitre, grâce à l’enveloppe d’un sponsor. Cette année, le premier championnat africain ayant connu un brillant succès fait grand honneur à la FTSF (Fédération Togolaise de Scrabble Francophone). A quelques jours de la fin de la compétition, le bureau a procédé à des négociations pour déposer la carte grise d’une voiture afin de laisser les hôtes terminer leurs séjours. Pas d’omerta ! Il resterait encore actuellement une dette de 5 millions FCFA que la fédération doit à deux hôtels. Dette pour laquelle ils sont constamment « menacés ». Même les récompenses à la fin de cette compétition, pourtant importantes, ont été négociées : « On a dû leur dire que les enveloppes font office de crédits qu’ils auront au championnat du monde », déclare le secrétaire général avant d’avouer avec un sourire amusé, « c’était pour éviter la honte. » La réponse de l’Etat à l’aide demandée pour l’organisation de ce championnat n’a pas été favorable. Le soutien n’a été qu’administratif.

Le Scrabble
Le Scrabble

La mélancolique situation d’extrême dénuement de cette fédération ne tardera pas à lui être inéluctable. « L’Etat ne nous donne aucun sou ». Le financement repose sur les membres du bureau et les membres de la fédération.  10.000 FCFA  pour les clubs et 2.000 FCFA pour les joueurs. Ces cotisations qui ne sont guère régulières non plus. Le reste, c’est le bureau. Pour une compétition de scrabble, il faut un local, de la logistique, des arbitres. Le calendrier établi en début de saison est  souvent modifié, par manque de moyens.

La règle du « je »

En dépit de tout, à la FTSF, une affaire inquiète. La hiérarchie donne du fil à retordre. Le problème est relatif au premier championnat africain de scrabble sus-cité. Il est question d’un financement demandé, à la fois à la Direction des loisirs, émanant bien-sûr du ministère de la Communication, de la Culture, des Sports et des Formations Civiques et à la présidence de la République. Il est, à cet effet, reproché à la jeune fédération, de passer outre l’incontournable loi de la hiérarchie. Le secrétaire de fédération doit adresser une lettre d’excuse au ministre, et le sort de sa fédération en dépendra. Le Togo n’est pas pour autant mal représenté à l’international en la matière. Peut-être le scrabble l’est mieux par rapport aux autres disciplines sportives. Colley Jean-Pierre est 1er de la compétition de la francophonie de cette année, arrimée à une compétition internationale où il est 21e mondial des moins de 18 ans. Autrement, dans cette catégorie, le Togo est 21e mondial. En parallèle, il y a beaucoup d’autres espoirs, des jeunes de 10 ans encadrés dans des écoles. La fédération en compte une trentaine. Comme une Formule 1 assemblée avec de meilleures pièces afin de délivrer la meilleure puissance théorique, le scrabble a tout de même besoin de passionnés de ce jeu, des encadreurs, arbitres… et bien entendu, du financement. Exister n’est plus  autre chose que ce diable qui hante le sommeil des membres du bureau. Et si au Togo, les sports qui exigent une musculation physique sont mieux considérés que ceux demandant une musculation mentale, c’est peut-être parce que les têtes bien pleines ont élu domicile ici. Tant pis pour le scrabble et ses soi-disant têtes bien faites.

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Commentaires

belizem
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Innocent, même le foot en pâtit, La chose culturelle est délaissée. C'est pas demain la fin de l'agonie. on a encore du chemin à faire. Mais ca viendra je l'espère. On sent que tu es amoureux du scrabble. Mais essaie de politiser aussi ça. Tu verras.

Innocent AZILAN
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"C’est pas demain la fin de l’agonie".. J'aime. Merci frère, pour ce commentaire!

Traore Amos Joel Yohane
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très beau billet innocent, malheureusement en Afrique à part le football les autres sports ne sont pas assez valorisés, or l'Afrique gagnerait à développer ces genres de sports.

Innocent AZILAN
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Merci ami Joël .👍 👍
Malheureusement, au Togo, même le football n'a pas une bonne réputation. D'où tout le sport togolais est en agonie.