Sorcellerie et autres magies d’Afrique (1)
Les pilules anti-animisme et anti-sorcellerie ont du mal à passer sur le vieux continent. Croire au fait que le Christianisme ou l’Islam, l’éducation moderne et l’urbanisme ont damé le pion à la sorcellerie et aux magies du même genre, c’est un peu comme croire que les idées du Front National ont réussi à arrêter l’immigration sous toutes ses formes en France. C’est un leurre. Et sans se tromper, on peut affirmer que la magie noire se porte aujourd’hui très bien sur le continent africain. Plus que jamais.
«— Massa, on dit que les papistes sont comme les païens d’Afrique ils ont des vaudous.
— Qu’est-ce qu’un vaudou ?
— Massa, c’est un petit bon dieu qu’on se fait à soi-même et qui n’est pas le vrai bon Dieu »
Dr Réné LeFebvre in Paris en Amérique en 1864.
S’il peut avoir un doute autour du postulat selon lequel le Vaudou n’est pas le bon Dieu (certains Béninois diront surement le contraire), il y a néanmoins une part de vérité dans la réponse donnée à Masa : le Vaudou est un dieu également. Et c’est la phrase suivante du dialogue qui achève de convaincre : « Etes-vous assez niais pour croire que les catholiques adorent un fétiche ? Cela est bon pour vos sauvages du Sénégal. » Hormis la dose a priori raciste de cette rétorsion, il est vrai qu’il y a en Afrique, de Dakar à Lubumbashi, de Lomé à Bangui en passant par Cotonou, des forces surnaturelles, détentrices du pouvoir « du mal ». Du même genre que Harry Potter, apte à défier les lois de la nature et de la physique, à se déplacer rien qu’en flottant. La question principale n’est plus de savoir si la magie noire est un mythe ou une réalité, la réponse est évidente, la curiosité c’est de se demander comment cela fonctionne. Et les cartésiens font souvent les frais puisqu’ « on ne joue pas impunément avec la face cachée de la raison ». -François Soudan-
Cela ne fait pas l’ombre d’un doute, l’invisible côtoie en Afrique le mortel dans son quotidien. Dans la « basse population », le catholicisme et les autres religions monothéistes ont du mal à exorciser, même avec la plus grande rigueur, l’Afrique de la sorcellerie et toutes les forces du mal, tant il faudrait discerner avant tout, le Vaudou de la sorcellerie et des autres pratiques fantomatiques. Le premier est une religion, une croyance tout autant que le christianisme et autres, le dernier a encore du mal à se définir, les rouages étant encore flous, pris bien entendu dans les réalités africaines. Mais après tout, en Afrique, le Vodou et la sorcellerie sont logés à la même enseigne, la fin justifiant les moyens. C’est pourquoi les hiboux « prédateurs » de chairs humaines, les cobras vengeurs, les tortues à doubles carapaces ou les lézards polymorphes à double queues sont toujours craints, pire qu’un malfaiteur armé. L’invisible ayant un sens et une façon étrange de communiquer, la moindre anomalie est porteuse de messages des « ancêtres ».
…Beaucoup d’héritiers de ce patrimoine qui se présentent comme chrétiens n’ignorent pas pour autant l’existence de ce genre de pratiques
Dans ce domaine où les professions de foi sont très rares, il est très difficile de prouver à une tierce personne -en théorie- l’efficacité du mode opératoire, ce ne sont pas que les civils qui s’en emparent. La sorcellerie africaine est à distinguer de l’art de jouer avec les boules de cristal, ce qui se fait ailleurs. Le premier est en réalité plus sérieux. Le politiquement correct empêchant les autorités de l’avouer, beaucoup d’héritiers de ce patrimoine se réclamant chrétiens n’ignorent pas l’existence de ces genres de pratiques. Et ils n’ignorent pas non plus les règles de fréquentation des entremetteurs de l’invisible. Voilà pourquoi en Tanzanie, malgré son interdiction en juin 2015 par le ministre de l’Intérieur tanzanien (il avait lancé un avertissement sérieux aux responsables politiques : pendant la campagne électorale, interdiction d’avoir recours à la sorcellerie) à la veille de l’élection, la sorcellerie s’est quand même invitée dans le processus.
C’est peut-être la raison pour laquelle le président togolais a abandonné le palais de son père pour construire le sien
Pour l’anthropologue François Bingono Bingono, qui se présente comme « crypto-communicologue », la sorcellerie s’est démocratisée. « Personne ne veut se laisser surprendre. Chaque fois qu’une personne est appelée à de nouvelles fonctions, elle s’entoure d’un maximum de précautions. Ne pas le faire revient à s’exposer à un risque d’ »infection » par la sorcellerie. On part du principe que celui qui s’en va a laissé des fétiches destinés à asseoir sa propre puissance ou à le protéger », explique-t-il. C’est peut-être la raison pour laquelle le président togolais a abandonné le palais de son père pour construire le sien. C’est aussi peut-être pourquoi il ne fréquente pas les résidences privées héritées de son géniteur comme la villa des Maréchaux à Paris ou le château Vial à Kpalimé au Togo. Fût-il son père. En sorcellerie, dit-on souvent en effet, il n’y a pas de limites. Ni de familles.
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La présidence togolaise a toujours été rattachée au christianisme. Même si, et cela dépasse l’étape du canular, l’actuel président Faure Gnassingbé est un grand initié de la tradition Habiè chez les peuples Kabyè. Sans doute initié par le père. En effet, la réputation de cette tradition en matière de pouvoirs « supra naturels » ne se limite pas aux frontières nationales. Il existe une rencontre quinquennale où les experts sorciers, qui se reconnaissent comme tels, se donnent un rendez-vous pour démonstrations. Beaucoup racontent les miracles qui s’y produisent, où des non-initiés curieux deviennent des proies pour ces mangeurs d’âmes. Au Togo, même si l’histoire du pays ne mentionne pas une trace de sorcellerie, la sortie indemne de feu Eyadema lors du crash de Sarakawa n’est pas considérée comme tout à fait normale. Mieux, quand après quelques jours, le militaire Bokobosso tire sur le président à bout portant sans atteindre sa cible, alors qu’il est militaire de profession, c’est l’enchaînement des preuves de l’invincibilité du président qui persuadera.
En cas d’égalité, c’est le spirituel qui compte
Quand Boko Haram menaçait à mort la population camerounaise, le président camerounais, Paul Biya, a fait appel aux sorciers de son pays, mieux placés apparemment, pour géo localiser ces fous de Dieux et lancer une contre-attaque. Ce qui avait fait dire qu’en quelque chose, la sorcellerie est bonne. A lire une enquête publiée par le magazine JeuneAfrique en 2012, on comprendra comment, dans presque tous les palais africains, ce mystère élit domicile. C’est en quête de meilleures protections et du plus grand pouvoir que la sorcellerie et ces genres de magies connaissent une évolution de plus en plus étonnante. En effet, sur le continent africain, en cas d’égalité, c’est le spirituel qui compte.
A suivre…
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