L’Afrique souffre de sa démographie : ma vérification des propos de Macron

Article : L’Afrique souffre de sa démographie : ma vérification des propos de Macron
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13 juillet 2017

L’Afrique souffre de sa démographie : ma vérification des propos de Macron

Lors du sommet du G20, le président français, Emmanuel Macron, a déclaré (en substance) que l’Afrique souffre de sa masse démographique. Une déclaration, dont les propos exacts, sortis quand-même du contexte initial, ont enflammé les réseaux sociaux. Macron, a-t-il raison ?

Emmanuel Macron, Président français. [Crédit photo: Conecta Abogados, Flickr/CC]
D’emblée, il faut dire que les propos macroniens souffrent constamment d’interprétations, s’il est aussi évident que l’homme commet beaucoup de bévues communicationnelles.

Sur les réseaux sociaux, le message qui est attribué à Macron est exactement celui-ci : « Le problème de l’Afrique est plus profond, il est civilisationnel. Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ».

Pour une analyse plus ou moins complète de ce propos au travers duquel les Africains voient des insultes afrophobes, il faut préciser le contexte général. Il s’agit d’un journaliste ivoirien qui demande combien les pays du G20 sont prêts à débourser en guise d’aide à l’Afrique, faisant allusion à un plan Marshall pour l’Afrique. A cette question, Macron répond : «… le plan Marshall est un plan de reconstruction matérielle pour les pays qui avaient leurs équilibres, leur frontières et leurs stabilités. Le problème de l’Afrique est plus profond aujourd’hui, il est civilisationnel. Quels sont les problèmes en Afrique ? Les Etats faillis, les transitions démocratiques complexes, la transition démographique, qui est l’un des défis essentiels de l’Afrique, les routes de trafics multiples qui nécessitent aussi des réponses en termes de sécurité et de coordination régionale, trafic de drogue, trafic d’armes, trafic d’enfants, de biens culturels… le terrorisme.»

(…) Si nous voulons une réponse cohérente à l’Afrique et aux problèmes africains, nous devons développer une série de politiques qui sont bien plus sophistiquées qu’un simple plan Marshall et des milliards accumulés. (…) Quand des pays ont encore 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards, vous ne stabiliserez rien. Le plan de transformation, nous devons [le] conduire ensemble, en tenant compte des spécificités africaines par et avec les Chefs d’Etats africains».

Une opinion, dont le résumé le plus juste, selon moi, est : « L’Afrique a un défi démographique ». En réalité, a priori, sorti de son contexte, avec des mots concoctés pour donner un sens maussade aux réalités africaines, cette opinion est fortement condamnable. Sinon, Macron n’a fait que répéter Nicolas Sarkozy en 2007, quand ce dernier disait dans son  discours de Dakar : « la réalité de l’Afrique, c’est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible ». Et ce n’est pas encore faux.

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  • Mais à vrai dire, l’Afrique ne souffre-telle pas de sa très forte natalité ?

Selon l’ONU, environ 284 millions de personnes intégreront la population active d’ici 2030 rien qu’en Afrique subsaharienne, soit 18,9 millions de travailleurs par an. Et ce défi ne cessera de grandir : d’ici 2063, environ 1,16 milliard de personnes en Afrique subsaharienne accéderont au marché du travail. Mais ce qui est vraiment inquiétant, c’est qu’une étude publiée récemment par Commerzbank, Faire face aux vents contraires après le retournement économique, démontre que cette croissance de la population active et les besoins en emplois qui en découlent surviennent à un moment difficile pour l’Afrique. La croissance moyenne du PIB en Afrique subsaharienne a chuté pendant les 10 dernières années, de 5% à seulement 3,4% en 2015.

La forte fécondité en Afrique n’est pas un péché, elle est peut-être juste une vérité interdite

François Cailleteau, in Le défi démographique africain, analysait (en résumé) la situation en ces termes :

« La très forte démographie en Afrique est due au déséquilibre entre une fécondité qui ne baisse que très lentement et une espérance de vie qui progresse rapidement. La pression des principales religions, le progrès insuffisant de la scolarisation, l’abstention des gouvernants à s’emparer vigoureusement de ce problème permettent de l’expliquer. Les conséquences en sont potentiellement redoutables. Il sera de plus en plus difficile pour de nombreux pays de nourrir leur population. Un fort exode rural contribuera à créer de nombreuses agglomérations de plusieurs millions d’habitants, sources potentielles de désordres. L’émigration de l’intérieur de l’Afrique vers les pays côtiers se renforcera inexorablement. Et lorsqu’en 2050, l’Afrique intertropicale, aujourd’hui à peu près aussi peuplée que l’Europe, comptera 2,5 fois plus d’habitants, des phénomènes migratoires massifs seront probables ».

Le constat est que très peu de pays africains arrivent à suivre normalement le boom démographique en Afrique. Il est donc vrai, l’Afrique souffre effectivement de sa forte démographie. Et les chefs d’Etats africains ne sauraient l’ignorer.

Photo : Vinz MARTINI- Flickr/DR

Fort heureusement, l’Afrique a compris que pour relever ce défi, il faut « profiter du dividende démographique. » En la matière, « la première étape vers un dividende démographique consiste en un déclin rapide  de la fécondité grâce à des investissements dans le planning familial… » s’est proposée l’Union Africaine. Comme quoi, la forte fécondité en Afrique n’est pas un péché, elle est peut-être juste une vérité interdite.

  • Si dans l’ensemble, Macron semble avoir raison, qu’en est-il dans les détails ?

Il est vrai que les leçons de morales font toujours rougir, surtout quand elles sont données par  un étranger.  C’est encore plus embêtant quand cette leçon vient d’un Français (sur un ton blâmant et condescendant), qui ne saurait à vrai dire être innocent du retard de l’Afrique. Il importe de se demander si l’Afrique n’a pas souffert des cinq siècles de crimes orchestrés par l’Occident (esclavage et colonisations) ?

Emmanuel Macron [Image: Françoise NIELLY-FlickrCC/]
Pour revenir sur le sujet : s’il est vrai que l’Afrique peine à décoller faute de sa démographie « incontrôlée », est-ce pour autant qu’il faut parler d’un défi civilisationnel ? Le terme civilisation n’est-elle trop vaste et trop profond ?

Sinon, selon le Dictionnaire Le Robert, une Civilisation renvoie à une évolution qui sort l’homme de son état de nature. Pris dans ce contexte global, cela voudrait dire que l’Afrique peine (toujours) à sortir d’un certain « état de nature » ? Ou que l’Africain est toujours indifférent aux enjeux de la « bonne Civilisation » ? Il faut comprendre dès lors que dire que l’Afrique est confrontée à un défi civilisationnel, est une expression de pensées pour le moins caustique, sur fond d’un jugement, ma foi, négatif, voire raciste sur la civilisation africaine. En effet, l’Afrique a déjà assez souffert des critiques sur ce qu’elle appelle par « sa civilisation ».

  • Sous le prisme du discours de Dakar…

L’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire

Le 26  juillet 2007, Nicolas Sarkozy, dans un discours qu’il veut franc qu’est celui de Dakar, avait déclaré que « le drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ». Le jugement est abject.

En effet, depuis la veille des élections en France, les Africains se sont adonnés aux pronostics sur les considérations vis-à-vis du continent africain des divers candidats. Si la position de Marine Le Pen n’a souffert d’aucune ambiguïté, celle de Macron par contre, oui. Si bien que tous ses propos directs ou non à l’endroit de l’Afrique sont décryptés.

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Pour cette déclaration, dont les termes « civilisations » et l’exemple caricatural, évocateur d’un cliché fort peu reluisant pour le continent, entachent en Afrique la pertinence de son analyse, Macron n’a effectivement que montrer de quel côté de la balance il se met réellement. Parler de 7 à 8 enfants par femme, fait des Africaines, beaucoup plus des pondeuses que des mères attentives à l’épanouissement de leurs progénitures.

Vu sous le prisme de l’humiliant discours de Dakar que l’Afrique a toujours du mal à digérer et de sa propre mauvaise blague sur les « kwassas kwassas », Macron s’est juste offert une sale étiquette d’un énième président français aux idées afrophobes. Il a commis aux yeux de nombres d’Africains, l’irréparable.

Si Doudou Diène, rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, avait déclaré à la tribune de l’ONU que « dire que les Africains ne sont pas entrés dans l’Histoire est un stéréotype fondateur des discours racistes des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle », il en dira surement de même pour les propos de Macron. Sûrement.

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Commentaires

Daniel PALI
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Bonjour. Je salut la qualité de l'article. J'aime bien la première partie de l'article qui donne une analyse générale des propos de Macron.
Mon désaccord intervient dans la deuxième partie de l'article qui traite des détails des propos de Macron. En effet Macron a raison d'autant plus que la définition de la civilisation énoncé dans l'article le prouve. Certaines situations ( faites) me font croir aussi que l'Africain dans sa globalité n'a évolué surtout en terme de mentalité. Je ne pourrais donc inscrit les propos de Macron dans la continuité de ceux de Sarkozy à Dakar que je condamné.

Innocent AZILAN
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Merci Daniel pour le commentaire.

En effet, il y a peu de choses dont Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron ont on commun pour inscrire le discours du premier dans la continuité du second. Et le contexte global des propos ne sont pas les mêmes également. Pour autant, pour une analyse, et vu que les deux "discours" font tous allusion à la civilisation africaine, un rapprochement est nécessaire, j'estime. Puisqu'il s'agit toujours d'un propos d'un président français.

Daniel PALI
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Je suis d'accord avec toi.
Sarkozy a tout faux! Mais je suis Macron. Lol

GALLEY akoelé Elsa
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les leçons de morale font toujours rougir,surtout lorsqu'elles sont données par un étranger .J'aime cette partie de l'article.
mais cet étranger ne dit-il pas la vérité ??
le problème de certains continent à l'instar de l'Afrique il faut le reconnaître est essentiellement l'explosion démographique. l'afrique souffre vraiment de sa démographie explosive . même si c'est Macron (un étranger)qui le dit, il ne faut pas le nier .

Louise Pascale
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Voici un article que j'ai aimé lire.
Je pense que l'Afrique souffre en effet de sa masse démographique.
J'ai l'impression que en Afrique, on fait des enfants pour en faire ou comme on dit souvent, on a été surpris par la grossesse. Le pire c'est que pour se convaincre qu'il y a aucun mal à avoir 5 enfants quand on ne parvient même pas à en nourrir un seul, on s'appuie sur l'argument selon lequel "les enfants sont un don de Dieu".
Sérieux? Vous pensez vraiment que Dieu à pour intention de faire venir des enfants dans un foyer sachant que les parents n'ont ni les moyens financiers ni les aptitudes (humaines, morales, intellectuelles) de s'occuper de leurs enfants?
On fait des enfants alors que même l'amour nous ne sommes pas capable de leur en donner.
Ce n'est pas seulement une question de moyens aussi. Parce que on connaît tous une femme qui a de bonnes rentrées d'argent mais qui ne parvient pas à s'occuper de ce qu'apprend son enfant.

Nous avons l'impression que en matière d'éducation, nous africains, nous n'avons aucune leçon à prendre des autres. On se dit que le fouet résoud tout et pourtant il faut se rendre à l'évidence... LES AFRICAINS ONT TROP D'ENFANTS.
Chacun devrait prendre conscience de ses moyens financiers et de ces aptitudes avant de se lancer pour défi le repeuplement de l'Afrique.